L’agriculture hors sol, fausse bonne idée ?

L’agriculture hors sol, fausse bonne idée ?

Contexte

Hydroponie, Aquaponie, Aeroponie, ferme verticale… tous ces noms désignent des méthodes de cultures de plante sans sol. 


Une culture hors sol, comme son nom l’indique, se passe de sol pour le développement des plantes. L'absence de ce dernier est comblée par l’ajout de minéraux, nutriments, et d’eau pour faire pousser la plante. Une sorte de développement in vitro de la plante.


Elle nécessite une infrastructure spécifique : une serre, un réseau de tuyaux perfectionné, un système de contrôle et d'ajustement continu de l’eau, et une structure pour maintenir ces plantes hors du sol. Dans le cas des espaces fermés, il est nécessaire d’avoir une source de lumière artificielle.


Cette méthode nous est présentée comme innovante dans le sens où elle consommerait moins d’eau et aurait besoin de moins d’espace pour développer une même quantité de produits.


Qu’en est-il réellement ? Nous allons ici faire un rappel du cycle naturel des plantes afin de comparer les deux approches sur un cycle de vie complet.


Cycle naturel des plantes et du sol 

Le cycle d'une plante qui pousse dans le sol commence par la germination de la graine, qui développe une racine principale permettant ainsi à la plante de puiser les nutriments et l’eau présents dans le sol.


Grâce à la photosynthèse, la plante capte l'énergie du soleil et absorbe le dioxyde de carbone (CO₂) de l'air pour produire de l'oxygène (O₂) et du glucose, qui lui fournit de l'énergie et permet de stocker du carbone dans ses tissus et dans le sol.


Les racines de la plante interagissent avec les micro-organismes du sol, qui décomposent la matière organique et facilitent l'absorption des nutriments essentiels. En retour, la plante nourrit ces micro-organismes avec des exsudats racinaires. Finalement, lorsque la plante meurt, ses résidus se décomposent, enrichissant à nouveau le sol en matière organique et bouclant ainsi le cycle naturel.


Avantages de l’agriculture hors sol

Avant de discuter des impacts potentiels,voyons les avantages que l'agriculture hors sol peut offrir, notamment dans des contextes spécifiques.

  • Optimisation de l'espace : Les systèmes verticaux permettent de cultiver davantage de plantes sur une surface réduite, ce qui peut être utile dans une zone urbaine. 
  • Contrôle environnemental : Les cultures hors sol permettent un contrôle précis des conditions de croissance, réduisant ainsi les risques liés aux maladies, aux ravageurs et aux aléas climatiques.
  • Efficacité de l'utilisation de l'eau : Certaines méthodes, comme l'hydroponie, prétendent utiliser jusqu'à 90 % moins d'eau que l'agriculture traditionnelle, grâce à la recirculation et à la réutilisation de l'eau (Sharma et al., 2018). Cependant, ce chiffre ne prend pas en compte l'eau utilisée pour extraire et fabriquer les nutriments nécessaires à ce type d'agriculture. En intégrant cette eau virtuelle, l'économie réelle descend à environ 60-75 % (Sanyé-Mengual et al., 2015; Kelly & Hayashi, 2020).
  • Production locale : L'agriculture hors sol peut rapprocher la production des centres de consommation, réduisant ainsi les besoins en transport et les émissions associées.

Impacts de la culture hors sol

Retirer le sol pour faire pousser un plant brise le cycle naturel et les impacts sont nombreux. Ils comprennent :


  • Dépendance aux intrants artificiels : Bien qu'efficaces pour nourrir les plantes, les nutriments hydroponiques doivent être extraits de ressources naturelles (comme le phosphate ou l'azote), souvent via des procédés industriels complexes qui consomment de l'énergie, de l'eau, et des matières premières non renouvelables. Ces nutriments sont ensuite traités et transformés en solutions prêtes à l'emploi, impliquant encore davantage de consommation d'énergie et d'eau. Enfin, ils doivent être transportés ce qui génère une empreinte carbone supplémentaire. En fin de compte, l'utilisation de ces nutriments en culture hors sol ne résout pas les problèmes environnementaux associés à l'agriculture intensive traditionnelle, mais déplace simplement ces impacts vers d'autres parties de la chaîne de production.

  • Absence de stockage de carbone : En culture traditionnelle, les plantes jouent un rôle clé dans le cycle du carbone en absorbant le CO2 de l'atmosphère et en stockant une partie de ce carbone dans le sol grâce aux interactions entre les racines, la matière organique et les organismes du sol. En revanche, en culture hors sol, il n'y a pas de sol dans lequel le carbone peut être stocké

  • Consommation énergétique accrue : en serres fermées, les plantes ne peuvent pas bénéficier de la lumière naturelle essentielle à la photosynthèse. Il faut recourir à un éclairage artificiel. Cet éclairage, qui consomme de l'énergie, contribue indirectement aux émissions de gaz à effet de serre si l'énergie provient de sources non renouvelables. Ainsi, non seulement la culture hors sol n'aide pas au stockage du carbone, mais elle peut également aggraver l'empreinte carbone à travers une consommation énergétique accrue pour maintenir des conditions optimales de croissance.

  • Réduction de la biodiversité du sol et artificialisation : les micro-organismes du sol jouent un rôle essentiel dans le cycle des nutriments et la santé des plantes. En culture hors sol, ces interactions bénéfiques sont perdues, ce qui peut affaiblir la résilience des systèmes agricoles face aux maladies et aux ravageurs.

  • Impact sur la qualité des produits : Les nutriments fournis artificiellement ne peuvent pas toujours imiter la complexité des interactions qui se produisent dans un sol sain. Une mauvaise gestion des apports nutritifs peut aussi avoir un impact direct sur la qualité des produits.

  • Cycle de l’eau déstabilisé : Lorsque l'on prend en compte l'eau de pluie utilisée par les cultures en sol, l'économie d'eau attribuée à l'agriculture hors sol est significativement réduite. En effet, l'agriculture traditionnelle utilise une ressource naturelle renouvelable que l'agriculture hors sol ne peut pas exploiter directement, ce qui peut augmenter la pression sur les ressources en eau d’irrigation et en eau potable.
    De plus, il est nécessaire de prendre en compte la consommation d'eau liée à l'extraction et à la fabrication des nutriments.

  • Résidus de produits chimiques : L'utilisation régulière de nutriments chimiques dans les systèmes hors sol peut entraîner une accumulation de sels et de résidus chimiques dans le produit. 

Avantages écologiques et économiques de la culture dans le sol

Les cultures en sol respectant un cycle naturel offrent une résilience face aux conditions climatiques et environnementales, et des coûts réduits à long terme : 


Résilience

  • Climat : La culture en sol offre une meilleure résistance aux conditions climatiques changeantes. Le sol agit comme un tampon, retenant l’eau pendant les périodes de sécheresse et libérant progressivement les nutriments, ce qui aide les plantes à mieux tolérer le stress hydrique et les variations de température. Cela réduit la vulnérabilité des cultures aux aléas climatiques, contrairement aux systèmes hors sol qui dépendent d’une gestion stricte des ressources en eau​.
  • Cycle et autonomie : Le cycle naturel des plantes régénère constamment les nutriments par la décomposition de la matière organique. Ce processus rend les cultures en sol plus autonomes, avec un besoin moindre en apports externes, contrairement à la culture hors sol où les intrants artificiels sont constamment nécessaires​
  • Stockage du carbone : La culture en sol permet la séquestration du carbone, un processus où le carbone est stocké dans la matière organique du sol, contribuant ainsi à la réduction des gaz à effet de serre. L’énergie du soleil, grâce à la photosynthèse, convertit le CO2 en matière organique.
    Les sols riches en matière organique jouent un rôle clé dans la lutte contre le changement climatique.
  • Fertilité et biodiversité du sol : Les sols abritent une riche biodiversité, composée de micro-organismes et d'insectes qui jouent un rôle vital dans la décomposition de la matière organique et le cycle des nutriments. Ces interactions biologiques maintiennent et améliorent la fertilité naturelle du sol 
  • Qualité des produits : Les plantes cultivées en sol bénéficient d’un accès à une grande diversité de micronutriments, ce qui peut améliorer leur valeur nutritionnelle et leur goût.
  • Cycle de l’eau respecté : Affirmer que l'agriculture hors sol consomme moins d'eau implique que l'eau est “perdue” dans l'agriculture en sol, alors qu’elle fait partie intégrante du cycle hydrologique naturel. Elle contribue à la recharge des nappes phréatiques, à la maintenance des écosystèmes aquatiques et est filtrée naturellement par le sol. Les pratiques agricoles durables peuvent minimiser les impacts négatifs tels que le ruissellement des nutriments.

Coûts réduits

  • Énergie : La culture en sol est moins énergivore que les systèmes hors sol, en particulier en ce qui concerne les besoins en éclairage artificiel, en gestion des intrants et en recirculation de l’eau dans des serres. À cela s'ajoute l'énergie nécessaire à l'extraction des nutriments. Les cultures en sol reposent davantage sur les ressources naturelles, comme la lumière du soleil et les cycles naturels du sol. 
  • Vision à long terme et sol vivant : Bien que les systèmes de culture hors sol offrent des rendements rapides, ils nécessitent des investissements constants en intrants. À l’inverse, un sol bien géré améliore sa fertilité au fil du temps, offrant des bénéfices économiques à long terme en réduisant la dépendance aux engrais et aux produits chimiques. En favorisant la santé du sol, les agriculteurs peuvent créer des systèmes agricoles plus durables et autonomes.




Conclusion 


Il apparaît que l'agriculture hors sol n'est pas une solution universellement supérieure à l'agriculture en sol. Si elle présente des avantages dans certains contextes particuliers, ses limitations en termes d'impact environnemental, de consommation d'énergie, de dépendances aux intrants artificiels et de rupture avec les cycles naturels doivent être soigneusement considérés.


Cependant, il est également important de reconnaître que toutes les formes d'agriculture en sol ne sont pas recommandables. Les pratiques agricoles intensives, en monoculture et non durables peuvent entraîner la dégradation des sols, la perte de biodiversité, la pollution des eaux et des émissions élevées de gaz à effet de serre. Ces méthodes peuvent épuiser les ressources naturelles et compromettre la santé des écosystèmes à long terme.


Pour promouvoir une agriculture véritablement durable et non consommatrice en ressources, il est essentiel de se concentrer sur des pratiques agricoles qui respectent les cycles naturels et renforcent la résilience et l'autonomie des écosystèmes. Nous pouvons construire des systèmes alimentaires qui sont non seulement productifs, mais aussi bénéfiques pour l'environnement, la santé humaine et les communautés, assurant ainsi la sécurité alimentaire pour les générations futures.



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Pistes : Réflexion économique à approfondir


L'agriculture hors sol nécessite des investissements initiaux importants, ce qui peut être un obstacle pour de nombreux agriculteurs. Les coûts élevés en énergie et en intrants artificiels augmentent les dépenses opérationnelles, affectant la rentabilité à long terme.


L'agriculture en sol, particulièrement avec des pratiques agroécologiques, offre une alternative plus accessible financièrement. Les coûts initiaux sont généralement plus faibles, et les pratiques durables peuvent réduire les coûts opérationnels au fil du temps en améliorant la santé du sol et en réduisant la dépendance aux intrants externes.


La viabilité économique à long terme de l'agriculture en sol est renforcée par la résilience des écosystèmes, la diversification des cultures et la capacité à s'adapter aux changements. Tandis que l'agriculture hors sol peut être plus vulnérable aux fluctuations des coûts de l'énergie et des intrants.


Sources : 

  • MIT Climate Portal - Sur l'efficacité de la séquestration de carbone dans les sols et la gestion des intrants en hydroponie, en relation avec la gestion des ressources en agriculture hors sol​
  • Nature.com (Scitable) - Sur le cycle du carbone et la manière dont les plantes stockent du carbone dans le sol, et les effets de l'hydroponie sur la gestion de l'eau et des nutriments​
  • Gruda (2009) - Étude approfondie sur la qualité des produits cultivés hors sol, incluant des comparaisons de goût, de composition nutritionnelle et d'efficacité dans l'utilisation des ressources comme l'eau et les nutriments ​(Gruda2009soilless).
  • Kelly, S., & Hayashi, K. (2020). Water footprint of hydroponically grown vegetables: A comparison of methodologies and results. Journal of Cleaner Production, 253, 119870.
  • Sanyé-Mengual, E., Oliver-Solà, J., Montero, J. I., & Rieradevall, J. (2015). An environmental and economic life cycle assessment of rooftop greenhouse (RTG) implementation in Barcelona, Spain. Journal of Cleaner Production, 90, 397–408.
  • Ercin, A. E., & Hoekstra, A. Y. (2014). Water footprint scenarios for 2050: A global analysis. Environment International, 64, 71–82.
  • Sharma, N., Acharya, S., Kumar, K., Singh, N., & Chaurasia, O. P. (2018). Hydroponics as an advanced technique for vegetable production: An overview. Journal of Soil and Water Conservation, 17(4), 364–371.